Mes chers amis radicaux,
Une fois de plus, nous voici rassemblés, en cette fin d’été somptueuse pour clôturer les travaux de notre Université traditionnelle, et je veux bien sûr remercier toutes celles et ceux d’entre vous qui sont venus, parfois de fort loin, d’abord pour éprouver la joie de retrouvailles quasi familiales mais aussi et surtout pour examiner la situation, difficile disons-le, où se trouve la gauche française en cette rentrée politique et pour tenter de débroussailler l’avenir des radicaux, notre ligne d’horizon. J’ai insisté évidemment sur nos invités politiques et j’ai entendu, ressenti et, pour partie, deviné vos réactions : « Nous y voilà ! Il attaque d’emblée sur les questions stratégiques et il les résume : le parti radical de gauche aurait le choix entre deux stratégies, celle du renforcement de son alliance avec le parti socialiste et celle de la réunification avec les valoisiens ». Telle serait notre alternative stratégique, et les deux options ont ici leurs partisans. Eh bien non ! Je décevrai les uns et les autres. La stratégie d’un parti politique ce n’est pas de balancer entre des alliances, c'est-à-dire de s’en remettre toujours à un autre pour la définition de ce que l’on est. Je refuse, pour moi, ce choix ridiculement réducteur « Puisque vous êtes radicaux, soyez donc l’aile droite de la gauche ou l’aile gauche de la droite ! », c'est-à-dire le centre dans des institutions où il n’y a pas de centre.
La stratégie du parti radical de gauche, c’est bien plus et bien mieux : C’est d’abord de dire quelle est notre utilité publique, quelles sont les attentes sociales auxquelles nous sommes en mesure de répondre. C’est ensuite de nous donner les moyens d’apporter ces réponses, en approfondissant notre travail conceptuel, en remettant en cause les doctrines, en modernisant – je vais dire un gros mot que l’époque n’aime guère – en modernisant notre idéologie.
C’est enfin, mais à la fin seulement, de dire clairement par quelles alliances politiques nous allons faire entrer nos idées rénovées dans le champ de la réalité. Comprenez-moi bien, je ne surestime pas, en l’état actuel de nos forces et dans le contexte de la bipolarisation, la question des alliances, surtout à six mois des rendez-vous électoraux qui concernent le plus nos concitoyens dans leur vie quotidienne, échéances municipales et cantonales. Je veux dire que les alliances sont un moyen au service de l’essentiel et que l’essentiel, pour un parti politique, c’est d’exister de façon libre pour être utile au pays. Et pour exister la première condition c’est de le vouloir. Vous me direz : « C’est une évidence ». Eh bien non, là encore ! Ce n’est pas évident. Quand certains de mes prédécesseurs – et j’ai bien dû utiliser cette expression quand elle avait cours – disaient que le parti radical incarnait « le centre-gauche », ils disaient par là, même involontairement, que notre parti était immuablement à la droite du parti socialiste, ce qui était bien la position que nous avait assignée l’union de la gauche en 1972. Mais quand on la considère aujourd’hui, trente-cinq ans plus tard, on voit que cette équation entre le radicalisme et le prétendu « centre-gauche » a trois conséquences mécaniques : D’abord, nous nous en remettons à d’autres de dire où et qui nous sommes. Les radicaux n’auraient plus la liberté de dire : « Nous sommes la gauche moderne, la gauche de la laïcité républicaine, la gauche du fédéralisme européen, la gauche populaire attendue, espérée par les nouveaux citoyens ». Non, ils seraient dans l’espace politique, et dans celui-là seulement, laissé sur sa droite par la dilatation ou la rétraction socialiste. Je ne permets pas, moi, qu’on m’intime de ma placer là où l’on veut que je sois. Deuxième conséquence, notre espace vital dépendrait du positionnement des socialistes eux-mêmes : nous serions à leur droite quelles que puissent être leurs dérives centristes. Pour le dire tout à fait clairement je me pose une question : comment peut-on être, hier, à la droite de Michel ROCARD ou, aujourd’hui, à la droite de Dominique STRAUSSKAHN et être encore à gauche ? Vous le voyez bien, le centre-gauche n’existe pas. Et d’ailleurs nos amis socialistes nous menacent sans trop de précautions d’organiser notre disparition. C’est la troisième conséquence de ce positionnement de centre-gauche. Quand le parti socialiste, certains de ses dirigeants au moins, envisage, comme solutions à ses problèmes actuels pourtant autrement plus graves, de passer alliance avec François BAYROU et son… Modem (… pour Mouvement Démocrate), avec un authentique homme de droite qui deviendrait donc « le nouveau centre-gauche », comme il y a « un nouveau centre-droit », que deviennent les radicaux ? Rien. A la trappe ! Archivé, le radicalisme ? Non, non, et non, l’existence des radicaux de gauche ne dépendra pas du recentrage panique du parti socialiste ! J’illustrerai cette question en me référant à un autre de mes prédécesseurs, et Roger-Gérard SCHWARTZENBERG ne m’en voudra pas de le citer. Il avait coutume de dire que la fonction de notre MRG était, au début des années 80, de « déplacer les poteaux frontière de la majorité ». Fort bien. Nous étions donc les gardiens des frontières de la gauche, chargés de surcroît des escarmouches en terrain ennemi. C’est une fonction très exposée, car si l’on veut bien considérer que la politique est une forme de guerre par des moyens civils, conception que la réforme de 1962 a renforcée, on constatera une évidence que le militaire le plus obtus parviendrait à intégrer : dès les premiers combats, ceux qui gardent les frontières sont précisément les premiers tués. Pas pour moi, pas pour nous ! Les radicaux ne seront pas les victimes des stratégies des autres. Je veux surtout desserrer le dilemme dans lequel on voudrait aujourd’hui nous enfermer en montrant la vacuité des deux voies entre quoi le commentaire médiatique et, parfois, les sommations des radicaux eux-mêmes nous somment de choisir : nous serions les marionnettes potentielles de la politique d’ouverture du Président de la République ou alors nous serions éternellement vassalisés par le parti socialiste et gestionnaires, gardiens du musée en quelque sorte, d’un radicalisme peau de chagrin.
A tout seigneur tout honneur, voyons d’abord ce qu’il en est de la politique dite d’ouverture conduite par Nicolas SARKOZY.
Je serai très franc avec vous. Pour ma part, je pense le plus grand bien de l’ouverture politique par définition. Je vous ai même écrit à tous – que n’ai-je entendu à ce propos ! – qu’elle me paraissait être dans la nature même de l’élection présidentielle, comme sa suite institutionnelle logique. Et je vous invite à méditer les phrases suivantes. « Le problème est maintenant de savoir comment cette « ouverture » a des idées nouvelles va pouvoir, pratiquement, être réalisée. La question est d’abord posée à la majorité.
Si même on n’exige pas d’elle un reniement des buts en vue desquels elle a été élue, elle aura à accomplir un singulier virage pour s’associer au programme tout différent exposé au cours de la campagne présidentielle par le nouveau chef de l’Etat. Cependant, cette discipline imposée apparaîtra vite comme en contradiction avec l’élargissement des droits du Parlement qu’annonce précisément « l’ouverture ».
A côté de ce problème d’ordre moral posé à la majorité et qui sera résolu par les accommodements prévisibles, reste une autre donnée : le comportement de l’opposition.
A mon sens, l’opposition devra, elle aussi, faire preuve d’ouverture. Elle commettrait une erreur si, animée d’un scepticisme de principe devant les changements annoncés, elle prenait une attitude cabrée d’avance à l’égard du nouveau gouvernement. L’un des enseignements les plus encourageants de la récente campagne présidentielle est d’avoir vu le Président être obligé, pour être élu, d’adopter des conceptions de l’opposition. Dès lors, loin d’empêcher l’évolution promise, il faut au contraire la favoriser et réserver les critiques pour le cas où l’insécurité des convictions aujourd’hui affichées se révèlerait. Ces phrases, vous l’aurez peut-être deviné, ne sont pas les miennes. Je les ai extraites d’un article publié dans le bulletin du parti radical socialiste, en juin 1969, par Pierre de FELICE, longtemps Sénateur du Loiret, trois fois ministre, et qui était le père de notre amie Hélène de FELICE qui nous a quittés récemment et dont je suis ému de saluer ici la mémoire. J’ai cité le texte de Pierre de FELICE car il reflète exactement la conception qu’un démocrate doit avoir de l’ouverture : laissons la majorité se débrouiller des contradictions qu’elle provoque inévitablement, laissons en somme Bernard KOUCHNER discuter avec M. HORTEFEUX ou M. DEVEDJIAN, et, pour nous, jugeons sur pièces, sans a priori, pour évaluer la sincérité du nouveau discours présidentiel. Lors de mes rencontres avec le Président de la République , j’ai noté, je vous l’ai déjà dit un certain nombre de convergences. Nous pensons comme lui que les institutions doivent être réformées mais, je vais encore emprunter à Roger-Gérard, régime présidentiel ne signifie pas « monocratie » ; cela signifie tout au contraire renforcement de l’autonomie législative du Parlement. Nous estimons nous aussi que la Construction européenne doit être relancée d’urgence et que la procédure référendaire n’était pas appropriée, mais nous attendons bien plus que la relance à minima annoncée par le projet de traité modificatif. Nous jugeons nous aussi que l’ensemble de notre système de sécurité sociale doit être repensé pour répondre aux défis de la réalité et non pour réciter un quelconque catéchisme de la solidarité posée en principe et niée dans les faits ; mais nous estimons également qu’abandonner certains dogmes – d’ailleurs presque équitablement révérés par la gauche et par la droite, je pense au sacro-saint principe de la répartition comme seule source de financement des retraites – ne signifie pas enterrer les idées, certes très anciennes pour les radicaux mais spécialement modernes aujourd’hui, de solidarisme et de mutualité.
Car j’ai également exposé à Nicolas SARKOZY, avec franchise et clarté, les sérieuses divergences que nous avons par rapport à ses premières mesures qui sont, pour certaines à cent lieues d’une véritable ouverture. La priorité à la répression en matière de sécurité peut répondre à l’attente de nos concitoyens – Ségolène ROYAL l’avait compris elle aussi – mais elle ne réglera rien. La véritable réponse à l’insécurité, c’est la sécurité pour tous : sécurité de l’emploi, sécurité du logement, sécurité de l’éducation ou de la santé, sécurité des retraites. Ce n’est pas le laxisme des juges qui crée la délinquance, c’est la précarité, c’est l’inégalité, c’est le désaveu quotidien des principes républicains.
Autre divergence, et de taille, celle que nous avons devant la nouvelle politique fiscale et l’exaltation presque candide par la Ministre de l’Economie, des droits de « l’argent roi ». Mme LAGARDE se prosterne devant le veau d’or : « enrichissez-vous ». Laissons la faire. Mieux vaut être héritier de Léon BOURGEOIS que de M. GUIZOT. Au contraire de cette nouvelle politique nous pensons que c’est l’impôt, mais– l’impôt pour tous, direct et progressif (fiscalisons donc, par exemple, le financement de la Sécurité Sociale …) qui garantit l’égalité en droits des citoyens, laquelle est concrétisée par un égal accès à tous les services publics.
Je n’ai pris que ces deux exemples, j’aurais pu en prendre d’autres. Nos divergences sont réelles. Pour le reste, comme Pierre de FELICE, j’attends de voir. J’attends honnêtement, sincèrement, et s’il advient que je constate de réels progrès sociaux, une véritable politique d’ouverture, j’approuverai en votre nom sans aucun état d’âme. J’entends bien que, lorsqu’on me sollicite à propos de l’ouverture, on ne pense pas à ces questions de fond. On parle de tactique. « Alors, répondez-nous ! Oui ou non, les radicaux de gauche sont-ils prêts à rallier la majorité ? Oui ou non êtes-vous décidés à entrer au gouvernement ? » Et on a beau répondre très clairement « non » on a toujours des journalistes, ou quelque socialiste, ou admettons les quelques radicaux pour traduire à la manière des bonnes vieilles plaisanteries sexistes du bon vieux temps : « Une fille qui dit non, c’est une fille qui dit peut-être, et une fille qui dit peut être, c’est une fille qui dit oui ». Pourquoi, me direz-vous, cette curieuse interprétation de notre position ? C’est que du seul point de vue tactique, la politique d’ouverture dirigée par le Président de la République vers des personnalités isolées – ou qu’il parvient à isoler – réussit à merveille.
On raconte que, dans leurs affrontements en Asie Mineure, les Grecs avaient pris l’habitude de laisser près des points d’eau, à l’intention de certains chefs perses, des messages d’amitié si grossièrement cryptés qu’ils étaient facilement décodés comme des signes d’alliance adressés à des transfuges. Le but était de semer la zizanie dans le camp adverse. Le stratagème a parfaitement fonctionné, si l’on en juge au résultat. Je parle bien sûr de la défaite des Perses et pas de l’état actuel du parti socialiste… Je ne crois pas, je le répète qu’une politique d’ouverture puisse se juger au nombre de ralliements même s’il commence à être impressionnant. Et je rappelle aux donneurs de leçons, qu’ils soient socialistes ou radicaux, que je vois beaucoup de socialistes dans la gibecière du chasseur mais que je n’y vois pas de radicaux. Mais puisque je parle des radicaux en termes génériques, je veux dire un mot aussi de mes contacts avec nos amis valoisiens. Et je le dis, là encore, avec le souci de la clarification. Pas plus que je ne crois à l’ouverture par le mouvement de quelques individus, je ne crois pas que l’ouverture se fasse par des « bricolages » organiques entre partis politiques de la majorité et de l’opposition. Quand je propose aux radicaux valoisiens – et je suis heureux qu’ils en acceptent le principe – de dialoguer sur des thèmes de fond, l’écho médiatique me répond « réunification ». Etrange, non ? Que croyez-vous qu’attendent les citoyens de ce pays ? Une réponse à leurs préoccupations quotidiennes et aux interpellations de la mondialisation ? Ou un nouveau Cercle Edouard HERRIOT où j’irais dîner avec André ROSSINOT et Jean-Louis BORLOO ? Soyons sérieux.
J’ai proposé aux responsables valoisiens, et je le redit publiquement ici, de réunir, peut-être dès novembre prochain, une convention, ouverte à tous les non radicaux intéressés, de gauche ou de droite, sur trois thèmes précis : la laïcité aujourd’hui, l’Europe en perspective fédérale, et enfin le développement durable. J’ai proposé de dialoguer, tout simplement, quel crime ! Et j’aggrave mon cas. Si ce dialogue s’avérait fécond, il n’y aurait aucune raison de ne pas le renouveler ni de ne pas l’étendre à d’autres sujets : institutions, école républicaine, politique urbaine, aide au développement, etc. Et si les radicaux de gauche avaient la moindre hésitation sur ce dialogue républicain, sur son principe ou sur ses modalités, je soumettrais l’un et les autres immédiatement à l’évaluation de nos instances politiques en leur demandant si, oui ou non, cette ouverture de fond est conforme à la ligne constamment approuvée par nos Congrès de l’indépendance à gauche. Car un des grands mérites de ce dialogue – et même, je l’assume, des procès d’intention que l’on me fait, comme si je soupçonnais François HOLLANDE de préparer son ralliement au parti communiste parce qu’il va à la fête de l’Humanité – est de desserrer un peu l’alliance étouffante et sans conditions que voudrait nous imposer le parti socialiste. On mourrait facilement d être embrassé avec autant d’affection et aussi peu de considération… Je vous le répète, et je demande aux plus sceptiques de considérer au moins ce propos dans une appréciation tactique, l’alliance que nous avons avec le parti socialiste ne sera jamais rééquilibrée si elle se trouve, du fait de notre consentement quasi culturel au moins de notre inertie, dépourvue de toute alternative. Je veux bien, et je l’ai dit là aussi publiquement, discuter avec le parti socialiste mais le parti socialiste ne discute pas, il dicte. Puisque j’égrène les propos de mes prédécesseurs, Jean-François HORY avait une formule que j’aimais assez : « On pourra compter sur les radicaux si l’on compte avec eux ». Où voyez-vous que l’on compte avec les radicaux ? Où avez-vous entendu que, malgré votre formidable mobilisation dans la campagne présidentielle, les socialistes vous aient remerciés ? Où avez-vous noté que nous ayons été pris en compte lors des élections européennes ? Où constatez-vous que le parti socialiste ait invité ses partenaires à participer à une préparation élargie de son futur congrès qui doit faire, comme en 1995, comme en 2002, l’analyse sans cesse reportée des causes de la défaite électorale pour une rénovation incantatoire présentée comme la bonne nouvelle des sombres soirs qui annoncent, je cite, « d’autres victoires » ? Qu’on ne se méprenne pas, Ségolène ROYAL n’est pas ici en cause qui a fait, avec les moyens dont elle disposait, une belle campagne et a eu au moins le mérite de casser, sur la sécurité, l’identité nationale, l’école ou les trente-cinq heures par exemple, quelques tabous de la gauche. Mais pour gagner l’élection présidentielle, il faut trois conditions : énoncer une doctrine claire en phase avec l’attente civique ; avoir un parti uni autour de cette doctrine et d’un leader incontesté ; démontrer, à partir de cette base, sa capacité à rassembler en s’élargissant.
Mon constat sera cruel : le parti socialiste ne remplissait – et ne remplit toujours – aucune de ces conditions.
Sur la doctrine, je prendrai un seul exemple : l’Europe. On peut-être, au parti socialiste, europtimiste comme Dominique STRAUSS-KAHN ou eurosceptique comme Jean-Luc MELENCHON. On peut même être successivement l’un puis l’autre comme Laurent FABIUS. Comment voulez-vous que les citoyens adhèrent à un tel embrouillamini ? Et puisque je parle de Dominique STRAUSS-KAHN, je vous invite à méditer sur l’inanité du projet social démocrate qu’on nous présentait voilà peu, au moins jusqu’au 16 novembre dernier, comme la panacée. Autour d’une vision rénovée du socialisme – datant quant même du congrès de Bas-Godesberg, c'est-à-dire d’une cinquantaine d’années – on allait rassembler toute la gauche, d’Olivier BESANCENOT à… François BAYROU ! … J’ai déjà analysé devant vous les raisons pour lesquelles la social-démocratie à la sauce de l’Europe du Nord n’était pas transposable à notre pays : faiblesse en effectifs des partis politiques et des syndicats ouvriers, culture de l’indépendance syndicale depuis le congrès d’Amiens, absence de tradition, de consensus politique permettant le recours à la proportionnelle et donc, le cas échéant, à de grandes coalitions. Je n’y insiste pas. Pas plus que je n’insiste sur l’étrange paradoxe qui a fait de la social-démocratie, matrice historique et idéologique du collectivisme, une posture « moderne » qui consiste à être à gauche en conduisant une politique de droite. Passons. Mais si vous étiez encore tentés par l’ouverture social-démocrate, je vous invite à considérer le parcours étonnant d’un « rassembleur » de la gauche qui se fait délivrer, au moment de son imminente nomination à la tête du FMI, des brevets d’orthodoxie libérale unanimes par les économistes du monde entier. Où est donc passée la doctrine socialiste ? Sur l’unité d’un parti autour d’un leader incontesté, je n’aurai pas non plus à insister. N’est pas François MITTERRAND qui veut… Mais chut… Le parti socialiste prépare son congrès. Nicolas SARKOZY mène une guerre de mouvement, l’urgence sociale nous interpelle, le pays attend. Que font les socialistes ? Ils préparent leur congrès. Interminablement. Au moins pourrait-on s’en réjouir si le congrès était, comme il devrait l’être, le creuset d’où sortiraient un parti uni autour d’une doctrine moderne, direction et programme publiquement approuvés par une assemblée de citoyens libres de leur choix. Mais les statuts et la culture actuelle du parti socialiste nous laissent craindre tout autre chose. Motions de comptage, alliances de couloirs, surprises et ralliements de dernière minute, toutes les recettes des précédents congrès seront mobilisées pour parvenir au véritable objectif : peser au trébuchet les influences internes de façon à être bien sûr de refaire une fois de plus la bataille d’Alésia du côté des Gaulois. Division des tribus et tactique de la terre brûlée donneront éternellement le même résultat : la défaite est assurée mais plus gros sera le tas de décombres, plus grands seront les espoirs de reconstruction. Vive donc la rénovation ! Quant à la capacité de rassemblement, je redis ici avec l’humilité qui doit être celle du Président d’un petit parti – si grandes que puissent être nos espérances – que le parti socialiste, qui en a la responsabilité par sa taille relative, n’en montre aucune volonté. Nous ne nous intéressons guère, excuse-moi, cher Arnaud, à l’affrontement très aléatoire entre « les jeunes lions » et « les vieux éléphants ». Nous voulons savoir sur quelles bases politiques claires peut s’opérer un vaste rassemblement qui se nourrirait d’abord de respect mutuel. Est-on prêt, du côté socialiste, à considérer les propositions pragmatiques de ses alliés ? Est-on déterminé à désigner enfin les candidats communs par une procédure commune ? Est-on décidé à énoncer une ligne stratégique entre une construction confédérale ou un vaste parti réformiste qui engloberait toutes les sensibilités de la gauche de gouvernement ? Est-on bien sûr, en somme, de vouloir jouer pour gagner et non pour perdre en des défaites qui seraient autant de promesses d’hypothétiques victoires à venir ? Toutes ces questions sont posées à nos amis socialistes. Nous sommes alliés, c’est vrai, mais j’ai déjà eu à regretter que cette alliance exclusive soit devenue, pour les radicaux, plus qu’une culture, une seconde nature. Comme je l’ai dit aux radicaux valoisiens, je dis à mes amis socialistes qu’il ne suffit pas de réunir d’énièmes assises de la gauche, un sempiternel sommet de la gauche, pour redonner espoir au pays. Non, mes amis valoisiens, non mes amis socialistes, les Français n’attendent pas de nous un meccano électoral mais un véritable effort doctrinal. Serons-nous enfin capables de regarder le monde tel qu’il est et d’y appliquer nos idées pour faire progresser la liberté, la justice et la paix ! Et je vous le dis, mes amis, nous sommes capables, la gauche est capable de faire lever à nouveau les espoirs de la France. Nous le pouvons si nous acceptons de délaisser nos dogmes vieillis, nos clivages dépassés, nos habitudes des combats de tranchées pour aller au devant des exigences du temps. La première exigence contient toutes les autres. L’urgence est de recréer le lien civique, de produire de la citoyenneté. Aujourd’hui les Français sont des contribuables, des usagers, des consommateurs, des ayants droit, des assujettis, des prestataires, des protestataires, des spectateurs, et surtout des téléspectateurs, des titulaires, des précaires, des profiteurs, des exploités, des catégories, des corporations ; ils sont tout, sauf des citoyens, car on leur a proposé le pire des marchés que puisse accepter un homme libre : on a confisqué leur vraie liberté en prenant en charge presque toutes leurs responsabilités. Qu’on parle de la crise des élites ou du désintérêt pour la chose publique, qu’on parle de populisme ou de néo-monarchisme c’est le même phénomène qui se laisse voir : le lien de citoyenneté par quoi chaque individu libre et responsable est aussi important que la communauté à laquelle il appartient, ce lien précieux est en train de se déliter sous nos yeux. Les plus puissants profitent sans vergogne d’une puissance chaque jour accrue. Les classes moyennes ne se mobilisent que pour la défense d’intérêts catégoriels. Les plus faibles redoutent la précarité quand ils n’y sont pas déjà condamnés. Et aux marges de notre société, des millions de laissés pour compte, souvent jeunes, souvent d’origines ethniques bigarrées, souvent parqués dans des ghettos, comme ces camps de mercenaires que l’égoïste prospérité carthaginoise refusait de payer, des millions de Français donc regardent la société comme leur ennemie et le bien public comme une proie. Pouvons-nous, avons-nous le droit, de tolérer cette situation, nous les radicaux en premier lieu ? Et je rappelle aux plus anciens que le radicalisme n’est pas, à la manière de la IVème République , une espèce de centrisme tactique à toute épreuve, un opportunisme inoxydable. Je dis aux plus jeunes aussi que le radicalisme n’a pas du tout le sens que le mot porte chez les Anglais ou les Américains, une sorte de libertarisme sans limites, un goût immodéré de l’excès en tout ; le radicalisme ne se confond pas avec la radicalité. C’est, comme l’étymologie le suggère, cette passion politique d’aller à la racine des problèmes sociaux pour améliorer la vie avec nos méthodes propres qui sont la raison discursive, le doute méthodique, la tolérance dans l’action et la laïcité stricte appliquée à toute chose publique. Tel est le radicalisme et il a aujourd’hui de grandes actions politiques à conduire, de celles qui assignent un horizon militant à toute une génération, de celles qui font rêver qu’on peut en effet changer la vie. J’en prendrai trois exemples, je pourrais en prendre cent si votre temps ne m’était pas aussi précieux. En tout premier lieu –et c’est la question cruciale que j’ai évoquée de la citoyenneté– il faut inventer des rapports nouveaux entre l’individu et la collectivité. Je sais d’ailleurs que « les jeunes lions » socialistes y réfléchissent beaucoup. Notre époque est marquée par une contradiction que certains jugent indépassable car ils n’ont pas su la dépasser. D’un côté, le consumérisme, la publicité, l’esprit de compétition et l’exaltation du profit matériel ont produit un individualisme sans précédent dans nos sociétés urbaines privées des repères communautaires que fournissait autrefois la vie du monde rural. De l’autre, jamais l’exigence de solidarité des mêmes individus n’a été aussi élevée, comme si la vie en société était un simple droit de tirage. La dérive consommatrice de notre système de sécurité sociale est sans doute le meilleur exemple de cette contradiction mais la fiscalité en est une autre illustration. Est-ce d’ailleurs un problème très différent ? Dans un étonnant système de distribution où chacun devrait boire toujours plus, nul ne s’inquiète du tarissement de la source, redoutable problème d’écologie sociale utopique. Moins d’impôts, moins de cotisations et toujours plus de prestations, y compris pour ceux qui n’en ont nul besoin. On a même vu le parti communiste combattre, il y a peu, le projet de mettre les allocations familiales sous plafond de ressources ! Ayons le courage de le dire, soixante ans après sa naissance, c’est notre système entier de sécurité sociale qu’il faut réinventer en privilégiant les deux principes directeurs de solidarité et de responsabilité. Quand la droite orthodoxe nous propose son libéralisme sans principes qui est une caricature de la liberté, quand la gauche dogmatique déploie son discours qui privilégie toujours la collectivité, nous répondons que le radicalisme est la gauche moderne, la gauche de l’individu libre, responsable et solidaire, celle qui préfère la justice à l’égalité et, pour le progrès social, l’élitisme républicain à la lutte des classes. Sur ces lignes de force, commençons donc par réformer la sécurité sociale. Deuxième exemple – vous allez dire que c’est une marotte – je veux vous reparler de l’Europe. La construction de l’Europe fédérale continentale est peut être pour nos générations le seul grand mythe disponible parmi ces grandes et belles histoires que les sociétés politiques doivent se raconter si elles veulent se transcender. Croyez-vous que nos concitoyens ont vraiment refusé l’Europe en mai 2005 ? Pas du tout. Ils ont rejeté la prolifération sournoise d’une Europe abstraite, juridique, lointaine mais tatillonne, opaque et bureaucratique mais omnipotente ; ils ont refusé une Europe des bureaux européens, une Banque Centrale Européenne indépendante et accrochée à ses dogmes, une Europe plus soucieuse des critères de convergence monétaire que du maintien de l’emploi. L’Europe aujourd’hui n’est que l’esquisse d’un squelette institutionnel, redoutable monstre qui n’aurait pas de muscles, pas de nerfs, pas de sang, bref pas de chaleur ni de vie. L’Europe que les Français ont refusée c’est celle qui repose sur le triste trépied Acte-Unique-Maastricht-Nice. Le traité modificatif va nous aider peut être à dépasser ce stade. Ce sera un maigre progrès. Quand on veut changer de monde, il ne faut pas hésiter à parler de révolution. Où sont les peuples européens assemblés ? Où sont leurs cahiers de doléances ? Où sont les Etats Généraux ? Où est l’Assemblée Constituante ? Où sont ces pouvoirs légitimes qui diraient que de grands services publics européens sont préférables à la sacralisation de la concurrence et du libre marché, qui décideraient qu’un nouvel impôt direct européen concrétiserait le principe de responsabilité politique, qui seraient capables, au sein de l’OMC, d’imposer des clauses démocratiques, sociales et environnementales à une mondialisation sans foi ni loi ? Où sont-ils ? Nous ne les voyons nulle part mais ne désespérons pas de les trouver. Ceci m’amène à mon troisième exemple, l’aide au développement. J’entends dire que la jeunesse française serait désabusée, amère, démobilisée, sans perspectives et souvent sans emploi. J’entends quelquefois les plus vieux, dans nos campagnes, bougonner à propos de ces jeunes : « Il leur faudrait une bonne guerre… ». Et bien oui, il y a une guerre à mener, une guerre contre la faim, une guerre contre la misère, une guerre contre l’inégalité universelle, et s’il le faut, au nom du droit d’ingérence démocratique qui est plus que de l’humanitaire, une guerre contre la guerre. Quoi ! Les jeunes de ce pays, et avec eux toute la jeunesse européenne, seraient désoeuvrés, découragés, douteraient de l’engagement politique ? Est-il préférable de multiplier les stages « bidon », les emplois TUC en TOC, les situations de chômage déguisé ou de financer la formation d’une armée de volontaires civils du co-développement ? N’est-il pas possible de retrouver l’esprit pionner de la France rayonnante, de l’Europe de la Renaissance , du Siècle des lumières ensuite, pour dire « Oui nous avons encore beaucoup à donner au monde. Oui, nous voulons oeuvrer concrètement au projet d’une République universelle. Oui, les plus démunis peuvent compter sur nous car il n’est qu’une vérité qui compte, celle de l’unité fondamentale de la condition humaine ! » Travaillons donc, mes amis, à ces grands projets et à tous ceux que votre imagination – sans limites parce que c’est le propre de la pensée politique de ne jamais borner le rêve, de graver les utopies dans le marbre rétif de la réalité – que votre imagination saura concevoir. Et si nous oeuvrons à redonner ainsi le goût de la politique à nos concitoyens, elles nous paraîtront bien loin et bien dérisoires les spéculations tactiques dont le microcosme se nourrit aujourd’hui faute de mieux. L’Histoire parce qu’elle est tragique, a produit d’incroyables violences ; elle a généré aussi des géants politiques. Parce que l’histoire militaire s’est heureusement apaisée, au moins sur notre continent, nous devrions être gouvernés par des comptables, par des conjoncturistes, disons-le par des nains ? Allons donc, les plus grands défis sont devant nous. Et je me moque, pour ma part, de savoir avec qui nous allons les relever. Si Arnaud MONTEBOURG veut faire un bout de chemin vers l’horizon d’une Europe fédérale, qu’il soit le bienvenu. Si Jean-louis BORLOO veut lutter vraiment pour un monde équitable, je travaillerai avec lui aussi. Et de grand coeur !
On a dit, avec des délices de gourmet du Paris politique, que les lignes étaient en train de bouger. C’est vrai. Mais elles bougent parce que le monde change, pas parce qu’il faudrait nouer de nouvelles alliances minuscules. Ce monde nouveau a besoin des radicaux, besoin de vous. Je suis sûr que vous ne décevrez pas cette attente. Avec tous ceux qui le voudront nous referons demain le rêve éveillé que faisait Martin LUTHER KING. Parce que rien d’humain ne vous est étranger, le monde vous appartient.